Équilibre

Equilibre : la somme des équilibres et des déséquilibres

Le sens des mots équilibre et déséquilibre permet de trouver le mouvement naturel dans l’Equilibre vrai.

Les arts martiaux sont souvent considérés comme un moyen d’être plus, ou mieux équilibré. L’équilibre est omniprésent dans toute pratique martiale. Mais avez-vous déjà réfléchi à la signification des termes « équilibre » et « déséquilibre » ? Les sous-entendus sont souvent plus intéressants qu’il n’y paraît à première vue.

Quant on dit d’un objet ou d’une action qu’ils sont équilibrés on défini une liberté. Le préfixe « equi- » veut dire « égal » et « -libre » veut dire « qui s’accomplit sans contrainte extérieure ». Il s’agit donc d’une liberté qui est égale dans toutes les directions de l’espace. Au niveau temporel, cette liberté nous affranchit du passé et de futur puisqu’il l’équilibre n’existe que dans le présent.

C’est cet état qu’il s’agit d’obtenir dans le Juppô Sesshô. Il faut que nous soyons équilibrés dans toutes les dix directions de l’espace et dans le temps. Le petit enfant qui s’essaye à la marche n’apprend l’équilibre que dans le déséquilibre. La posture Shizen no Kamae, quand elle est comprise par la pratiquant, doit permettre de bouger dans toutes les directions de l’espace (Juppô). En Shizen, le déséquilibre est le garant de l’équilibre.

Pourtant dans le mouvement, l’état d’équilibre tant recherché n’est que ponctuel et ne peut se trouver dans la permanence. Vouloir être équilibré en permanence est vain. L’équilibre est un état qui ne peut durer que s’il est en mouvement. En effet, un équilibre ne se réalise que dans l’action et l’action implique le mouvement et donc le déplacement.

Or quand je me déplace, mon centre de gravité se déplace aussi. Mon équilibre de l’instant disparaît momentanément jusqu’à la découverte d’un nouvel équilibre. Vu de l’extérieur, ces équilibres consécutifs peuvent apparaître comme un déséquilibre. Du coup, nous pouvons dire que l’équilibre vrai consiste à toujours rester en déséquilibre.

Pour illustrer cela, prenons l’exemple de la statue. La statue sur son socle nous semble équilibrée car si elle ne l’était pas elle tomberait. Ne tombant pas on la considère comme étant stable. Mais la stabilité n’est pas l’équilibre puisque la stabilité indique que la statue se tient debout (Stare en latin : se tenir debout). Or cette stabilité, cette capacité à se tenir debout n’existe que grâce à la gravité qui la pousse et l’attire vers le sol de façon linéaire. La statue n’est donc pas équilibrée, elle est en équilibre ce qui est différent.

La question à nous poser est donc la suivante : doit-on être équilibré ou en équilibre ? Si on considère que l’on doit être équilibré alors nous ne le serons pas. Etre équilibré ne s’applique qu’à l’espace et ne concerne pas le mouvement. Cela n’est vrai que pour un moment et nie donc la dimension temporelle du mouvement et le mouvement par la même occasion.

Nous devons donc chercher à rester en équilibre. Ce faisant, quand nous recherchons à rester en équilibre, nous nous plaçons dans une situation de déséquilibre permanent créée par des équilibres consécutifs. Ce « dés-équilibre » est donc la condition de notre Equilibre.

Le véritable Equilibre est donc la somme des équilibres et déséquilibres successifs dans le temps et l’espace et non pas une réalité physique uniquement spatiale.

Dans le Juppô Sesshô, nous passons d’une réalité en deux dimensions (Ni Jigen no Sekai) à une nouvelle réalité en trois dimensions (San Jigen no Sekai). Nous passons du plan au volume et c’est dans le volume que doit se trouver l’Equilibre. C’est un nouveau paradigme qu’il nous faut accepter.

Le « déséquilibre » apparent est donc la condition sine qua non d’un Equilibre de l’action. Dans le Ninjutsu du Bujinkan, nous devons rechercher cet état de déséquilibre permanent dans le temps et dans l’espace. Quand Uke attaque, il vise un point dans l’espace. Son action s’inscrit dans une logique d’équilibre car jamais Uke n’attaquera s’il pressent que son déplacement d’attaque l’amènerait à perdre.

Notre esquive doit donc permettre le déséquilibre de Uke à son point d’arrivée. Il faut donc partir au bon moment pour créer les conditions de sa chute. Si on part trop tôt, Uke reconsidère son attaque, reprend son équilibre et lance une nouvelle attaque. Si nous partons trop tard, Uke nous touche et nous perdrons notre équilibre. L’attaque, qui réussirait dans ce cas, redonne un nouvel équilibre à Uke (devenu Tori d’ailleurs puisqu’il a gagné).

L’esquive doit donc être en Equilibre avec la vitesse d’attaque de Uke, la puissance de son intention et avec l’environnement dans lequel nous évoluons. Le mouvement naturel que nous recherchons est donné par les Kamae (postures) et par le travail du déplacement. C’est cela le Ten Chi Jin du Bujinkan. Un état d’Equilibre permanent dans le temps et dans l’espace en adaptation constante à notre environnement physique et mental. Cet Equilibre permanent ne peut exister que dans un déséquilibre total. Cela permet au corps de s’adapter aux conditions changeantes de l’espace et du temps. C’est ce que nous devons appliquer dans le monde du Juppô Sesshô par le travail des jambes.

Il devient dès lors évident que l’Equilibre n’existe que dans le déséquilibre permanent un peu comme celui que nous retrouvons dans les atomes qui constituent toutes choses dans l’univers. L’atome est équilibré en soi par le mouvement permanent de ses électrons. Si un autre atome le percute, il cherchera toujours à recréer un nouvel équilibre abandonnant son équilibre premier. Ce moment de l’échange, est en réalité un déséquilibre garantissant le maintien de son état d’équilibre.

La définition donnée au début qui stipulait que l’équilibre était une « égalité » « qui s’accomplissait sans contrainte extérieure » est donc incomplète. Elle sous-entend une réalité qui n’est valable que dans l’espace. Or dans le mouvement technique comme dans celui de l’atome on comprend maintenant que cette égalité est une inégalité. Car ce sont les contraintes extérieures qui déterminent notre Equilibre vrai.

En conclusion c’est le déséquilibre permanent qui garantit l’Equilibre de nos mouvements. Quand toutes les directions de déplacement sont possibles, le mouvement devient naturel et les jambes apportent une réponse toujours appropriée.