Le bon, la brute et le truand

« Ton pire ennemi c’est toi même ! » ; voilà un adage que l’on aime bien affirmer dans le monde des arts martiaux. Mais combien de gens ont l’attitude qui devrait découler de la compréhension de cette vérité ? L’ego se manifeste de différentes manières mais nous avons décidé de partir d’une base 3, un Sanchin de l’ego : « le bon, la brute et le truand ».

« Ton pire ennemi c’est toi même ! » ; voilà un adage que l’on aime bien affirmer dans le monde des arts martiaux. Oui cela fait toujours bien dans ce monde où la peur de l’autre va croissante, c’est la phrase obscure du sage à méditer. L’ennemi n’est donc pas celui que l’on croyait ! Mais combien de gens ont l’attitude qui devrait découler de la compréhension de cette vérité ? Peut être pas autant que l’on aimerait le croire... Car souvent nous croyons savoir, c’est confortable et moins douloureux pour l’ego, que d’accepter que l’on ne sait pas. L’ego se manifeste de différentes manières mais nous avons décidé de partir d’une base 3, un Sanchin de l’ego : « le bon, la brute et le truand ».

L’ego n’a pas que de mauvaises facettes, il n’est même pas mauvais en soi, il est humain. Le problème est de savoir ce que l’on en fait et là les problèmes commencent. Le « bon » pourrait correspondre au narcissisme mais dans le bon sens du terme, il est indispensable pour pouvoir progresser. C’est un amour de soi différent du nombrilisme qui nous permet de nous voir et nous accepter tels que nous sommes, c’est à dire accepter notre condition humaine avec ses forces et ses faiblesses. Cela nous permet aussi rigueur et réalisme dans notre ligne de conduite. Nous devenons alors disponibles pour l’Autre. Mais « aimez vous les uns les autres » commence par soi même parce que le refus de ce que l’on est nous voile la face, il nous empêche de saisir l’essentiel en nous maintenant dans l’illusion. Ainsi le « bon ego », et la connaissance des deux autres facettes abordées plus loin, nous donnent une première attitude dans la pratique martiale et la vie en général : soyons exigeants avec nous mêmes et tolérants avec les autres.

La « brute » est celle qui veut nous dominer parce qu’on la laisse faire, c’est la peur. Nous avons tous nos craintes, certaines sont parfois pathologiques. Mais tout cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas les affronter. Du point de vue physiologique elles produisent un certain nombre de réactions : sécrétion d’adrénaline, augmentation des rythmes cardio-respiratoires, apport d’énergie supplémentaire aux muscles, augmentation de la vigilance, etc ; cela nous prépare à affronter un danger. Donc le stress peut être bénéfique par les qualités qu’il mobilise, mais comme beaucoup de choses c’est l’excès et la façon dont on le gère qui est problématique. Quelqu’un qui n’a jamais peur est un inconscient, un « cow-boy », et quelqu’un dominé par ses peurs est une souris entre les griffes d’un chat. La troisième option (encore une base 3 !) est d’affronter ses peurs, c’est la plus difficile mais l’unique voie si l’on désire avancer dans la pratique martiale. A l’entraînement la peur d’être touché change le mouvement. Par exemple Uke (l’agresseur) attaque en ayant déjà « perdu », tellement sur la défensive qu’il ne peut être efficace ; ou Tori (le défenseur) répond alors d’une manière inadéquate mais qui peut marcher si l’on est dans le jeu (et pas le combat). Dans les deux cas le mouvement n’est pas vrai, une perte de temps pour soi et son partenaire dans la progression, et aussi le risque de s’installer dans une illusion concernant le réalisme des techniques. La perte du réalisme peut avoir de graves conséquences en situation réelle où déjà, l’issue est incertaine. Cela conditionne parfois notre vie entière pour trouver de bonnes raisons de ne pas faire les choses ou se mettre des œillères. Durant l’été 2004 nous avons participé à un stage de Ninjutsu en Normandie. Il y avait une après-midi consacrée au saut à l’élastique du haut d’un viaduc. L’aspect intéressant était notre rapport à la peur. Avant le saut la pression monte, pendant le saut on hurle sa trouille (plus ou moins selon les personnes). Mais il y a un moment clé à saisir, celui où au bord du vide on prend la décision de sauter que l’on met en ACTE. Cette situation n’est pas naturelle. On a beau savoir qu’il y a quantité de sécurités, tout notre être sent la mort potentielle d’un tel saut. Peut être que dans la prise de décision au moment où il faut y aller, où la peur disparaît, on se rapproche de l’esprit du guerrier enseigné par les arts martiaux. L’action mène à la compréhension et il faut arriver à ne plus fuir dans ses questionnement pour faire les choses. Ceux qui n’ont pas sauté ce jour là avaient sauté l’année passée et déjà connus les sensations de la chute. Cette fois-ci la peur a pris le dessus en faisant oublier l’intérêt de sentir cette attitude avant le saut. Cela peut nous arriver à tous si on oublie parfois que rien n’est jamais acquis. Le Ninjutsu est un art de tous les instants et pas seulement trois fois par semaine pendant deux heures ; et notre métro-boulot-dodo peut nous éloigner de cela.

Si la peur est assez facile à déceler (on sait quand on a peur en général, même si on ne fait rien à ce propos), le dernier aspect traité est plus sournois. Le « truand » est cette partie de l’ego qui nous met en avant. Mais c’est se mettre au devant de soi, et ainsi ne plus être centré sur soi-même, c’est à dire être « un ». Les arts martiaux sont une occasion de se sentir exister et le « truand » nous donne des a priori où, en dépit des explications du professeur, on exécute un mouvement en croyant savoir ; en faisant ce que l’on pense avoir vu et pas ce qui est demandé. En plus on ne peut s’empêcher d’analyser, si bien que la défense engagée devient une réponse à une attaque qui est déjà du passé, alors que le mouvement naturel implique une réaction instinctive et appropriée dans l’instant. Il n’y a de temps ni pour réfléchir, ni pour s’admirer, seulement pour une réponse de Tori qui est fonction de la question de Uke (attaque, tension, réactions, points faibles, etc). C’est pourquoi il n’y a pas de Kata en Ninjutsu. On recherche une réponse spontanée et adaptée à l’attaque plutôt que la restitution de séquences figées et pré-établies. Les Kata et les grades sont des pièges à ego si on ne prend pas garde. Le fait de pouvoir reproduire une séquence de mouvements permet de briller, d’exister. En travaillant ainsi ces enchaînements on se place en spectateur dans un combat imaginaire, comme on peut l’être dans sa vie. Il serait bon d’être aussi acteur pour ne pas subir constamment. Quand aux grades, ils ne sont pas forcément attribués en récompense d’un niveau acquis mais pour encourager l’élève à travailler pour l’atteindre. Si alors on se contente de porter telle ou telle ceinture, un bout de tissu, on se repose sur des acquis que l’on a même pas ! Les grades sont des repères et pas un but en soi. Enfin il semblerait que cet aspect de l’ego soit un frein à l’introspection. Certaines personnes n’arrivent pas à rester seules, ne serait-ce que quelques heures. Ils leur faut un fond sonore, la télé allumée, la radio, etc. Pourquoi ? Parce qu’en réalité nous ne sommes jamais seul dans ces moments, ni durant l’indispensable entraînement solitaire. Quand on fait mille coupes au sabre face à un arbre ou un mur, on est pas seulement face à un obstacle physique, on est face à soi-même. Il est question ici des failles dans la concentration où l’esprit cherche à s’évader pour oublier l’effort et la douleur. Et là c’est notre image, notre quotidien, les soucis et autres qui remontent à la surface. Est-ce que cela est facile à regarder ? Pas sûr ! Aussi l’entraînement au Ninjutsu n’est pas chose aisée car cela nous confronte à tous ces pièges. On peut avoir l’impression d’être pris dans une spirale de l’échec. Peu de gens s’y accroche tant cela est dur pour le moral, surtout si on est un peu fragile de ce côté là. Si l’on est sincère c’est un art qui ne permet pas de briller car souvent on échoue, encore et encore, jusqu’à ce que le mouvement naturel s’exprime après des années de travail. La progression vient de l’enseignement tiré de ses erreurs. Chaque fois on se rapproche de la vérité (ou d’une vérité). A force d’être touché par l’attaque on réajuste patiemment jusqu’à arriver aux bons timing, distance et rythme appropriés. Cela prend du temps, et c’est parfois décourageant. Dans ces moments il faut se rappeler les paroles de maître Hatsumi : « keep going ». Le problème viens en partie de notre attachement à notre image. Nous balançons entre ce que nous voudrions être et ce que nous croyons de la façon dont les autres nous perçoivent, alors qu’il suffit tout simplement d’ETRE ce que l’on est réellement ! (encore une trinité, décidément).

L’Homme fonctionne en base trois à l’image de l’univers, mais il a parfois du mal à être en harmonie avec ce système. Certainement que toutes les difficultés que nous avons vues, souvent de l’ordre de l’affectif, empêchent la régularité dans la pratique. On est absent un temps, se reposant sur ses connaissances du moment, jusqu’à ce que le besoin de revenir se fasse sentir, probablement pour exister de nouveau mais avec la peur d’être jugé, de ce que dira le professeur quand on réapparaîtra. On provoque seul ces instants désagréables, cela mériterait peut être une étude analytique ou sociologique (il semblerait que la « flemme » soit générationnelle à notre époque), mais avant tout n’oublions pas que l’action mène à la compréhension.