Shiki, le 6ème élément

De la connaissance à la conscience


Cette année a vue l’arrivée d’un nouvel élément aux cinq éléments habituels du Godai que sont Chi, Sui, Ka, Fû, Kû. Ce nouvel élément est appelé Shiki. C’est grâce à lui que nous pouvons approcher du concept de Yûgen no Sekai.

Nous sommes donc passés du Godai au Rokudai.

Ce terme de Shiki est intéressant car il peut se traduire de deux manières soit par « Connaissance » soit par « Conscience ».

La « Connaissance » est différente des « connaissances » résultat de nos apprentissages de vie. La « Conscience » est l’état ultime de notre Etre et diffère en cela de la conscience des choses ou des évènements.

La langue Japonaise nous a habitué a ses traductions multiples, mais ici cette double terminologie définit une logique de vie.

Connaissance vient du latin cum + nascere ou « naître avec ». Conscience vient du latin cum + scere ou « savoir avec »

On peut donc dire que la connaissance est innée alors que la conscience s’acquière avec les années. Cela revient à comprendre (cum + prendere, prendre avec soi) que nous naissons avec en nous les éléments de notre Conscience future qui se développera au travers des expériences des épreuves et des obstacles que nous aurons à surmonter durant notre existence.

Tout notre travail de pratiquant est donc de réussir à prendre « conscience » de la « Connaissance » innée résidant en nous et de la mettre à jour par l’acquisition de « connaissances » diverses et multiples. Étant « conscient » de notre objectif final nous avons ainsi une chance d’arriver un jour à la « Conscience ».

Dans les arts martiaux Japonais, ce travail de mise à jour de la Conscience passe par un polissage du corps et de l’esprit ne faisant qu’un, au travers du filtre de la matière. La matière est manifestée dans l’enchaînement des cinq éléments qui la constitue : la terre, l’eau, le feu, l’air et le vide (espace). Ces éléments s’enchaînent l’un l’autre. La terre crée l’eau, l’eau crée le feu, le feu crée l’air et l’air le vide. C’est pourquoi ces cinq éléments sont empilés les uns sur les autres à partie du sol. Par le travail des cinq éléments de la matière, le pratiquant (Jin) élève son corps/esprit graduellement de la terre vers le ciel, du Chi vers le Ten.

Arrivé au dernier niveau du Stupa (Godai), le pratiquant peut aborder alors le sixième niveau , celui de la Conscience, il entre alors dans le Shiki et peut travailler dans le Yûgen no Sekai.

Shiki est donc Conscience et Connaissance. Shiki est le niveau au-delà du monde manifesté. La sublimation de la matière amène à un niveau de conscience supérieur.

Dans le Bujinkan c’est à cela que servent les Dan au-delà du Jûdan. Chaque grade supérieur est définit par rapport à cette évolution : Chigyô Happô Biken, Suigyô Happô Biken, Kagyô Happô Biken, Fûgyô Happô Biken, Kûgyô Happô Biken. Le suffixe « Gyô » veut dire frontière, limite physique.

Ces cinq grades supérieurs symbolisent donc la limite entre le niveau précédent et l’entrée dans le niveau suivant. Ainsi, Chigyô Happô Biken signifie que vous avez assimilé l’élément Terre (Chi) et que vous abordez l’élément eau et ainsi de suite.

Arrivé au dernier niveau, vous avez assimilé Kû et entrez dans un monde différent, celui de la Conscience, Shiki.

Symboliquement, ce système de grade tant critiqué par nos détracteurs, est très cohérent. Les dix premiers grades permettent d’acquérir les connaissances de base. Les cinq grades supérieurs ne servent alors qu’à stigmatiser l’avancée du pratiquant dans sa découverte de lui-même.

Quand le Godai passe au Rokudai, on ne passe pas de 5 à 6 mais de 5 à 5+1. Ce 6° élément est de nature différente. C’est la même chose dans le système des grades. On passe de 10 à Chi, Sui, Ka, Fû et Kû. Il ne faut surtout pas croire qu’il s’agit de la suite. Comme nous l’avons déjà expliqué ici, le système de grades du Bujinkan est assimilable au système éducatif. Les grades au-delà de 10 sont des niveaux d’étude Universitaire. La ceinture blanche est la maternelle. La ceinture verte est l’école primaire. La ceinture noire est l’entrée en 6°. Le Godan est le début du secondaire. Le Jûdan l’Université.

Au dernier niveau, le pratiquant commence à travailler pour lui et pour son développement personnel, c’est pourquoi on ne peut et ne doit pas tenter de comparer les grades entre eux. Ni entre des arts martiaux différents, ni même entre les pratiquants du Bujinkan.

L’éveil graduel de notre Conscience se manifestera à chaque fois différemment. Chaque pratiquant est aux commandes de sa propre existence et est aussi le résultat de son expérience de vie. C’est la vie qui nous forme et nous déforme. Nous ne sommes pas égaux, chacun est différent. Le monde n’existe qu’au travers de la perception que l’on en a. Ce qui est vrai pour l’un ne le sera pas pour l’autre et inversement. Vouloir imposer aux autres sa propre vision revient à essayer de cloner sa petite compréhension et à dénier à l’autre toute capacité d’analyse personnelle.

C’est pour cela que l’apprentissage passe par plusieurs étapes. Jusqu’au 10° Dan (niveau universitaire), il faut suivre ce que dit l’instructeur sans réfléchir et sans discuter. Ensuite l’instructeur tout puissant du début devient directeur de thèse. Il est là pour aider le pratiquant à formuler sa compréhension du mouvement et à l’éclairer par sa propre Connaissance. Il n’a plus raison, il est « devant » mais aussi « à côté ». Le véritable travail n’est plus provoqué par le Sensei mais assisté par lui. Rappelez-vous cette phrase de Maître Hatsumi : « je n’enseigne pas de techniques à mes élèves ; je leur enseigne à s’apprendre à eux-mêmes ». C’est à partir du 10° Dan que cela devient possible*.

Shiki est le but ultime de la recherche de tout pratiquant. Cette explication permet aussi de comprendre aussi pourquoi les individus font souvent évoluer leur compréhension technique du mouvement vers une compréhension souvent spirituelle. Le combat contre autrui n’est plus l’objet de l’entraînement il en est l’excuse pour se trouver soi-même.

Cette découverte du Soi est le nom donné à notre accès à la Conscience. Mais cet accès à la Conscience ne peut se faire sans le passage par les différentes étapes de la matière du Godai. Le Godai une fois assimilé permet l’accès au Rokudai. Mais sans le Godai, il n’y a pas de Rokudai. Si vous acceptez cela, alors vous comprenez pourquoi beaucoup de pratiquants abandonnent leur quête en cours de route. Le chemin est long et pénible et les illusions nombreuses.

Soyez durs avec vous-mêmes et tolérants avec les autres car eux aussi cherchent la même chose que vous. Ce n’est pas une compétition mais une course d’obstacles que chacun est capable de réussir, à son rythme, en faisant ses propres erreurs et ses propres découvertes. Il n’y a pas de vérité ultime, chacun doit trouver la sienne propre. Et ce travail sur soi passe seulement par la continuité dans l’effort et par un engagement personnel sans limite.

Comme le répète à l’envie Hatsumi Sensei : Keep going !