Mutô Dori est Butô Dori
Mon dernier voyage au Japon durant la saison Sakura m’a apporté plein d'idées, et j'ai fait de mon mieux pour les partager avec mes buyu en Inde, en France et en Hongrie.
Enseigner après avoir reçu un enseignement au Japon est toujours un défi à relever dans lequel notre confiance est mise à l’épreuve. Sera-ce suffisant? Est-ce que les explications ont du sens? Avons-nous vraiment compris ce que signifiaient les mots de Sensei? Mais comme toujours dans le Bujinkan, j'ai utilisé le 忍 法 一 环 Ninpô Ikkan, la "keep going" attitude et j'ai fait de mon mieux.
En Inde, où je suis resté deux semaines, j'ai eu le temps de me poser et de "polir" les sensations volées au Japon. Le groupe à Bangalore étant un mélange de débutants et de Shidôshi, nous avons commencé avec le Sanshin no kata que nous avons rapidement adapté au tsurugi. Shiva et son équipe ont fait un bon travail en mettant à disposition suffisamment de tsurugi en bois pour tout le monde. L'Inde est incroyable* et ici les buyu savent comment faire les choses correctement.
En France, le groupe s'était entraîné intensivement avec Hughes au tsurugi et nous avons passé beaucoup de temps à mettre plus de taijutsu dans les techniques de sabre car le taijutsu est le véritable enseignement de cette année et nous avons commencé à être ok avec le concept de Mutô Dori. Mais j’y reviendrai plus tard dans le texte.
Puis à Budapest, nous avons fait quelque chose de si différent qu'en fait tout mon taijutsu avec le tsurugi s’est beaucoup amélioré. Lorsque ce séminaire a été planifié par Balazs à Budapest, il a fait une drôle demande: "Arnaud pensez-vous qu'il est possible de couvrir les concepts que sensei a développé pendant les vingt dernières années, sur un séminaire d’un week-end? ". "Bien sûr" lui ai je dis et l’affaire était conclue ...
Mais pour être honnête, ce n'est que la semaine avant le séminaire que j'ai commencé à être préoccupé sur la faisabilité de cette demande et que j'ai réalisé la complexité de ce projet. Je suis dans le Bujinkan depuis si longtemps qu’il ne m’est pas difficile de me souvenir de tous ces thèmes, mais comment en faire ressortir une évolution logique et compresser vingt ans de concepts en seulement deux jours?
Je pense que tout arrive pour une raison, et pour moi Sensei déplie progressivement un chemin que nous avons suivi aveuglément sans regarder en arrière (si vous avez les yeux bandés, regarder en arrière est inutile de toute façon). Maintenant, grâce à mes tentatives de transmettre la beauté logique de la vision de Sensei, j'ai compris la raison pour laquelle nous étudions tsurugi cette année: nous utilisons tsurugi car il n'existe aucun autre moyen pour nous aider à reproduire quelque chose que nous connaissons, ni aucun autre moyen pour adapter une base de connaissance déjà étudiée. Aucune autre arme que nous connaissons dans les arts martiaux japonais ne peut être utilisée à ces fins, le tsurugi est l'ancêtre de tout. Le tsurugi est le commencement et la fin, l'alpha et l'oméga de l'art martial, le A-Un.
J'ai compris que ce que nous faisions avec le tsurugi n'est pas vraiment important parce que ce qui alimente le mouvement ce n'est pas une arme ou un waza, ce qui fait que ça marche, c’est la qualité de notre taijutsu. C’est uniquement avec un bon taijutsu que nous pouvons nous déplacer correctement avec le tsurugi. J'ai échangé quelques messages avec Duncan récemment et nous avons tous deux été d'accord sur ce point.
Avec le tsurugi nous nous déplaçons avec nos tripes, les mouvements du corps prennent le relais sur l'analyse mentale permanente donnant naissance à une subtile manière de se battre. Le mouvement fonctionne parce qu'il est naturel et qu’il n’est pas gêné par la moindre intention. Dans un sens, nous pouvons dire que 剑 tsurugi étant notre corps, nos «tripes» permettent au 津 腹 鸣 Tsurugi (ou le havre de paix où tout est traité) de s’exprimer. Rappelez-vous qu'au Japon le hara (ventre) est l'endroit où l'esprit se trouve.
Taijutsu est le thème de cette année et c'est pourquoi Sensei a insisté sur l'importance de Mutô Dori lors de ses récents cours. Mais le problème est que Mutô Dori ne peut, théoriquement, être fait que lorsque vous n'avez aucune arme dans votre main. C'est la clé. Nous faisons Mutô Dori avec le tsurugi dans la main, parce que c'est seulement du taijutsu et rien d'autre. La qualité de votre taijutsu est ce qui donne vie à la lame, mais la lame ne fait rien de technique c’est le jeu de jambes et les mouvements du corps qui font tout. Il n'y a pas de pensée, c’est le mouvement du corps (ventre).
Si vous m’avez compris jusqu'ici alors nous pouvons creuser un peu plus dans ce que Sensei a expliqué en classe.
Tenchijin est un - ou 3 = 1
Sensei a dit que nous devions garder le Tsurugi au niveau de la hanche.
Les hanches sont Jin donc la lame peut se déplacer librement entre Chi (jambes / bas du corps) et Ten (bras / haut du corps). Le Taijutsu est les pieds et les doigts, et l'épée via la colonne vertébrale est entre les trois. Nous nous déplaçons comme un par l'épée. Comme l'épée de Fudô, le Tsurugi relie l'homme au divin.
"Shinshin Shingan" "les yeux et l'esprit des dieux», a déclaré sensei pendant la classe, mais Shingan signifie également 真 赝, (authenticité), et Shinshin est aussi 心身 (corps et esprit) nous pouvons comprendre que le Tsurugi est le moyen de devenir pleinement authentique avec notre corps et notre esprit. Le Tsurugi est l'outil pour y parvenir. En nous déplaçant librement par notre Taijutsu, nous nous nettoyons de l'intention. Le Tsurugi est vivant et nous protège comme si l'épée avait sa propre perception de la réalité, une réalité qui ne peut être perçue par nos sens humains. C'est Juppô Sesshô.
Il n'y a pas d'épée, il n'y a qu'un mouvement naturel, et c'est le Taijutsu.
L'épée historique est appelée Kusanagi no Tsurugi: l'épée qui "coupe l'herbe." L'herbe peut être vue comme nos intentions, ainsi que les intentions de Uke. Comme le Ken de Fudô Myô, la lame coupe nos illusions et nous aide à nous débarrasser du mensonge pour que l’on reste sur le bon chemin. C'est la plus belle chose que Hatsumi sensei nous a donné et nous devrions luis en être reconnaissants. La formation avec le tsurugi rend notre taijutsu plus authentique, plus puissant aussi car nous sommes débarrassés de toutes intentions, nous sommes libres de nous déplacer en fonction de la nature et sans aucune idée préconçue.
L'an dernier, sensei a dit que Budô était Mudô, donc Mutô Dori est également Butô Dori
Bu est mu 武, et Tô 刀 épée ou 道 chemin, mais Tô 闘 est combat. Donc Mutô est Butô: 武 道 est 武 闘. Puis Mutô Dori ("accaparement" le chemin de la guerre) est en fait Butô (saisir le combat).
Mutô Dori est le Gokui, l'essence du budô. Le Gokui est toujours simple et sans forme dans sa manifestation, mais il est difficile de le rendre simple. Lorsque vous utilisez le tsurugi les mouvements sont le résultat du taijutsu et rien d'autre. La lame se déplace par elle-même en suivant ce que le corps crée dans le Kûkan. Comme l'a dit le maître zen Takuan (voir l'article précédent): «Je ne vois pas l'ennemi, l'ennemi ne me voit pas» et cela est possible parce que nous ne cherchons pas à faire quelque chose de spécifique. Lorsque le contact est établi, nous coulons comme de l'eau, comme si nous surfions sur le sommet de la vague des intentions de Uke. Le tsurugi n'est que le prolongement métallique de notre corps. Nous ne pensons pas au mouvement, nous ne pensons pas à l'arme, nous ne pensons pas à l'adversaire.
Nous 突き詰め ませ ん tsukitsumemasen, nous sommes dans l’état "ne pas penser", nous nous adaptons avec Mutô Dori comme expression naturelle.
Dans le sermon sur les arts martiaux, Chozanshi dit: « a teacher can only transmit a technique or enlighten you to the principle, but receiving the truth of the matter is something within yourself. (…) grasping it on one’s own is always a matter of transmission from mind to mind. It is a special transmission beyond the scriptures »(«un enseignant peut seulement transmettre une technique ou vous éclairer sur un principe, mais recevoir la vérité de la signification est quelque chose à l'intérieur de vous-même. (...) saisir par soi-même est toujours une question de transmission d'esprit à esprit. Il s'agit d'une transmission spéciale au-delà des Écritures. "
Comme Sensei dit, nous devons apprendre à lire entre les lignes et le Mutô Dori de cette année nous apporte exactement cela.
Just do it **
*Slogan de la campagne nationale de publicité. http://www.incredibleindia.org/
* * comme dans l’expression de Nike. “Niké” est la déesse de la victoire en Grèce donc “just do it (sans penser) et la victoire sera vôtre.